25 ans après la commission Krever, notre engagement envers les patients reste intact
Cette semaine marque le 25e anniversaire du dépôt du rapport du juge Horace Krever. Ce rapport avait été commandé pour mettre au jour les lacunes de l’ancien système d’approvisionnement en sang du Canada et les circonstances qui avaient fait perdre la santé, voire la vie, à des dizaines de milliers de Canadiens à la suite de transfusions de sang contaminé.
Le rapport et les recommandations du juge Krever ont guidé tous ceux d’entre nous qui ont participé à reconstruire le système depuis 1998. Au cours de ces 25 dernières années, les décisions que nous avons prises ont été nombreuses; toutes se sont faites sous l’éclairage et l’influence des conclusions de ce rapport. Et je me fais ici l’écho de deux de ces décisions, parmi les plus récentes et les plus marquantes : l’évolution de nos activités liées au plasma et l’introduction de changements historiques dans nos critères de sélection des donneurs.
Si l’innocuité est et sera toujours notre priorité, il apparaît, 25 ans plus tard, que la sécurité de l’approvisionnement est tout aussi importante, en particulier pour le plasma et les médicaments dérivés. Présent dans le sang, le plasma est un liquide de couleur jaunâtre, riche en protéines. On peut le transfuser directement aux patients comme traitement ou s’en servir comme matière première pour la fabrication de plusieurs biomédicaments d’importance vitale.
Les médicaments à base de plasma le plus souvent prescrits sont les immunoglobulines, qu’on utilise pour traiter un grand nombre de maladies héréditaires ou acquises. La demande en immunoglobulines ne cesse d’augmenter au Canada et dans le monde, et pourtant les stocks de plasma peinent à suivre.
Depuis des années, nous craignons une pénurie mondiale d’immunoglobulines, laquelle serait fatale pour le Canada. Car sans une chaîne d’approvisionnement nationale complète en immunoglobulines et sans les infrastructures nécessaires pour collecter suffisamment de plasma pour répondre aux besoins des patients, le Canada n’a eu d’autre choix que de compter trop fortement sur les marchés étrangers. Mais nous travaillons jour après jour à augmenter les moyens d’action de notre pays et à réduire notre dépendance aux capacités d’approvisionnement et de fabrication d’autres pays.
La pandémie a encore davantage mis en évidence les risques liés à la sécurité de l’approvisionnement au Canada. Certaines défaillances de la chaîne d’approvisionnement ont eu des répercussions sur les vaccins et la disponibilité des équipements de protection individuels. Pour des raisons similaires, l’accès aux immunoglobulines est plus menacé que jamais. Si l’on veut atténuer ce risque, il faut prélever davantage de plasma au Canada et créer la capacité nationale de fabriquer des immunoglobulines à partir du plasma.
La Société canadienne du sang a élargi notre réseau de collecte de plasma au pays. Toutefois, nos capacités de collecte actuelles répondent à tout juste 15 % des besoins en immunoglobulines des patients au Canada (ce qu’on appelle la suffisance).
À partir d’un cadre décisionnel axé sur les risques et internationalement reconnu, la Société canadienne du sang a établi qu’il restait encore fort à faire, et de toute urgence. Cinq grandes recommandations sont ressorties de la dernière application de ce processus, l’une d’entre elles étant de continuer à élargir notre réseau actuel de collecte de plasma. C’est ce que nous avons fait.
Avec l’appui financier des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, nous aurons d’ici fin 2024 onze lieux consacrés à la collecte de plasma dans notre réseau (cinq sont actuellement ouverts).
Le rendement de ces centres permettra de presque doubler la suffisance canadienne en immunoglobulines. Mais, selon l’analyse de risques réalisée à l’aide du cadre décisionnel, c’est un minimum de 50 % que le Canada doit atteindre. Pour combler cet écart le plus rapidement possible, une autre recommandation invitait la Société canadienne du sang à explorer la collaboration avec le secteur commercial du plasma afin d’assurer une chaîne d’approvisionnement en immunoglobulines de bout en bout, depuis la collecte jusqu’à la fabrication sur le sol national.
À l’issue d’un processus d’achat concurrentiel et rigoureux, qui a fait l’objet d’un contrôle indépendant, la Société canadienne du sang a signé une entente avec Grifols, un chef de file mondial de la collecte de plasma et de la production de médicaments dérivés du plasma. Dans le cadre de cet accord, Grifols complétera la collecte de plasma de notre réseau et fabriquera des immunoglobulines dans une nouvelle installation en cours de construction au Canada.
Cet accord prévoit des points de contrôle critiques qui éviteront que les activités commerciales de Grifols affectent le fonctionnement du système national d’approvisionnement en sang de la Société canadienne du sang. Il garantit également que le plasma collecté au Canada restera au Canada et sera utilisé pour les patients de notre pays. Car la possibilité de collecter du plasma et de fabriquer des immunoglobulines sur le sol canadien réduit radicalement les risques d’approvisionnement pour les patients.
Tous ces avantages font partie d’un accord qui veille à ce que la sécurité du sang et des produits sanguins, dont le plasma destiné aux immunoglobulines, reste dans le domaine public, ce qui, comme l’a affirmé le juge Krever dans son rapport, est essentiel à l’intérêt public. Nous partageons cet avis. Les patients canadiens recevront un produit sûr, dont l’approvisionnement sera beaucoup plus fiable, et ce, sans aucuns frais pour eux, comme cela devrait toujours être le cas.
Depuis que nous avons annoncé notre entente avec Grifols, de nombreuses critiques ont plu sur la Société canadienne du sang; on lui reproche d’abandonner les principes de Krever. Ces critiques, souvent centrées sur les différences entre le modèle commercial du donneur rémunéré et notre modèle non rémunéré, négligent plusieurs points fondamentaux : l’innocuité du produit est assurée; les risques liés à la sécurité de l’approvisionnement sont considérablement réduits; l’accès aux services publics reste inchangé. La base factuelle de 2022 est bien différente de celle des années 1980, et nous avons mis sur pied une solution nationale qui respecte les principes de Krever tout en protégeant les intérêts des patients par rapport aux risques de l’approvisionnement mondial. C’est une bonne nouvelle pour les patients et pour le Canada.
Lorsque je pense aux recommandations du juge Krever mises en œuvre au cours de ces 25 dernières années, une autre avancée majeure me vient à l’esprit : le renforcement de l’inclusivité des pratiques de sélection des donneurs. Un peu plus tôt cette année, grâce aux efforts et au dévouement inlassables des acteurs et membres de la communauté 2SLGBTQIA+, nous sommes passés à une sélection basée sur le comportement sexuel, et ce, pour tous les donneurs. Concrètement, cela veut dire que nous avons aboli une très ancienne politique d’exclusion des hommes ayant des rapports avec d’autres hommes. Il a fallu beaucoup de temps pour en arriver là, trop pour certains.
Pendant des années, nous avons travaillé à bras le corps cette politique qui excluait de nombreux donneurs potentiels et contribuait à la stigmatisation et au préjudice des communautés gaies, bisexuelles, trans et queer, déjà beaucoup trop fustigées. Pour nous éclairer, nous avons facilité et rassemblé des recherches et des modélisations portant spécifiquement sur le Canada, tout en surveillant les travaux de nos collègues étrangers. Cela nous a permis d’obtenir les solides preuves dont nous avions besoin pour montrer qu’une politique plus inclusive ne nuirait en rien à l’innocuité et à l’efficacité des stocks de sang et de plasma.
Nous nous sommes également largement appuyés sur un autre principe fort du rapport Krever : donner la priorité à l’engagement des parties prenantes et assurer la participation du public dans le cadre décisionnel. Pendant de longues années, de nombreux employés se sont battus pour ce changement et ont dialogué avec de nombreuses populations et communautés, depuis nos détracteurs les plus violents jusqu’à des patients dont la vie dépendait de ces produits. Nous leur avons demandé leur avis et leurs conseils. Ils nous ont mis au défi, et nous l’avons relevé, travaillant avec diligence à produire ce changement bénéfique à tant de personnes au Canada.
Bien qu’il reste encore beaucoup à faire pour construire un système de transfusion et de transplantation plus équitable, inclusif et pluriel, nous disposons maintenant au Canada d’une politique qui pose les mêmes questions à tous les donneurs, quels que soient leur genre et leur orientation sexuelle. Nous savons que ce dernier changement n’est pas parfait et que, malheureusement, les personnes exclues par notre ancienne politique ne peuvent pas encore toutes donner du sang. Ce changement est d’une importance capitale, et il respecte les principes et les conclusions du juge Krever. Mais il s’agit juste d’un changement, une étape nécessaire dans notre démarche en constante évolution vers un système national d’approvisionnement en sang plus inclusif.
En plus d’être chef de la direction de la Société canadienne du sang, je suis aussi hématologue de formation. Bien que je n’aie pas exercé depuis 25 ans, je pense encore souvent à tous ces patients dont je me suis occupé. À cette époque où les transfusions de sang contaminé étaient un risque très réel, je savais leurs inquiétudes quant à l’innocuité et à la suffisance de l’approvisionnement en sang, dont leur santé dépendait. Ils sont beaucoup trop à avoir souffert des conséquences du sang contaminé. J’ai vu à quoi ressemblait un système d’approvisionnement en sang peu sûr et peu fiable, et j’ai maintenant le privilège et l’honneur d’aider à diriger une organisation qui n’a de cesse de s’engager dans le rétablissement de cette confiance et son maintien.
Lorsque le juge Krever a rédigé ce rapport, un vent d’angoisse soufflait sur une partie du système de santé publique du Canada, un système qui a fait défaut à de trop nombreuses personnes, parfois de manière fatale. Depuis sa publication, le rapport nous a montré la route à suivre, et plusieurs de mes homologues étrangers m’ont confié que « le rapport Krever » servait de repère partout dans le monde pour le système d’approvisionnement en sang. Nous marquons le 25e anniversaire de cette enquête avec une immense gratitude et beaucoup de fierté, conscients qu’en 1997, nous partions de loin. Et nous nous souvenons avec humilité des erreurs du passé. La Société canadienne du sang et moi-même avons beaucoup appris de cette période; nous restons fermement concentrés sur l’innovation pour l’avenir et sur l’optimisation d’un système qui place l’innocuité au sommet des priorités et assure la sécurité de l’approvisionnement pour tous ces patients dont la santé et la vie dépendent de nous.
Dr Graham D. Sher, O.C.