Un donneur de rein a changé la vie de Shariq Khan, un professeur et chef spirituel de Barrie, en Ontario.
Shariq Khan savait dès son plus jeune âge qu’il avait une santé fragile. Il a vu son père vivre avec une insuffisance rénale causée par une néphrite héréditaire, une maladie dont il est aussi atteint. Pourtant, lorsque ses reins ont cessé de fonctionner en avril 2011, il l’a vécu comme un vrai choc.
« Lorsque je suis allé faire ma prise de sang annuelle, on m’a dit de me rendre immédiatement à l’hôpital, se souvient ce professeur de génie mécanique au Georgian College, en Ontario. Mon père n’a pas eu besoin de dialyse avant la cinquantaine. J’y ai eu droit dans la trentaine. »
La dialyse, qui remplace les reins en filtrant mécaniquement le sang pour éliminer les déchets et l’excès de liquide du corps, est devenue essentielle à sa survie. Ce traitement exigeait qu’il passe plusieurs heures à l’hôpital chaque semaine. D’abord trois fois, puis cinq à six fois par semaine. Parfois, il avait aussi besoin de transfusions sanguines pendant ses séances.
Parents de deux jeunes enfants à l’époque, Shariq et sa femme jonglaient difficilement entre leur vie de famille et le traitement. En outre, il a dû renoncer aux voyages à l’étranger, qui étaient si importants dans sa vie d’adulte, à la fois pour sa carrière d’enseignant et sa pratique de l’islam.
« On ne peut pas voyager sous dialyse, explique-t-il. Notre vie a beaucoup changé. »
L’attente d’un rein
La seule option outre la dialyse était la transplantation rénale. Plusieurs amis et membres de la famille ont subi les examens dans l’espoir de faire un don de rein de son vivant, mais aucun ne s’est avéré compatible. Shariq allait avoir besoin du don d’une personne décédée. Chaque jour, près de 4 000 personnes sont en attente d’un organe au Canada. Parmi elles, 80 % ont besoin d’un rein, comme Shariq.
Malheureusement, le nombre de personnes qui s’inscrivent au don d’organes est insuffisant pour répondre aux besoins des malades. Même si 90 % des personnes vivant au Canada affirment soutenir le don d’organes, moins du tiers s’inscrit réellement. Résultat : chaque année, près de 250 personnes décèdent en attente d’une transplantation d’organe, dont un grand nombre de personnes sous dialyse.
Shariq a eu de la chance : après un an et demi de dialyse à l’hôpital, il a pu installer chez lui l’équipement nécessaire pour filtrer son sang pendant la nuit (hémodialyse à domicile). Des collègues et amis ont rénové son sous-sol pour pouvoir y installer la machine et rendre l’espace suffisamment confortable pour qu’il y passe ses nuits. Il a été très touché de leur soutien et de celui de sa famille.
« Il fallait une heure pour préparer la machine avant de pouvoir dormir, se souvient-il. Ma fille de trois ou quatre ans à l’époque venait m’aider. Elle me faisait des câlins et s’endormait parfois sur moi. »
La dialyse nocturne ne permettait toutefois pas de compenser complètement l’absence de fonction rénale.
« C’est usant et douloureux. Certains jours, j’étais incapable de sortir du lit. »
Un don de rein qui change tout
Alors qu’il était sous dialyse, Shariq continuait de travailler, en plus de faire des sermons et d’enseigner à la mosquée de Barrie. Il s’était tout simplement habitué à la fatigue et à la douleur.
« J’étais très actif, mais j’étais sur pilote automatique, explique-t-il. Je ne m’épanouissais pas, ni spirituellement ni psychologiquement. »
C’est alors qu’en décembre 2014, près de quatre ans après les débuts de sa dialyse, Shariq a eu le bonheur de recevoir un cadeau inconcevable : le rein d’une personne décédée.
« Ce n’est qu’après la transplantation que j’ai vraiment réalisé ce qui m’arrivait. J’ai eu l’impression de revenir dans un monde en couleurs après avoir vécu en noir et blanc. »
Dix jours seulement après l’opération, il avait retrouvé toute son énergie.
« Tout le monde m’a dit que j’avais bien meilleure mine. J’avais repris des couleurs. Un peu comme si on avait appuyé sur un bouton. »
La possibilité « de bouger, de vivre, de créer des liens, de s’épanouir »
Ce don de rein a permis à Shariq de créer de précieux nouveaux souvenirs avec sa famille. Il a profité de la possibilité de rendre visite chaque semaine à sa famille à Toronto, ainsi que de faire de la planche à roulettes et d’aller à la plage avec son fils et sa fille, qui ont aujourd’hui onze ans et quatorze ans.
Il a aussi pu aider de nombreux étudiants en ingénierie à se lancer dans leur carrière, ainsi qu’élargir son rôle de chef spirituel. En 2018, Shariq est devenu l’imam du centre islamique de Bradford. Maintenant qu’il est en meilleure santé, il peut intervenir dans des lieux plus éloignés.
« Si quelqu’un m’invite à aller prononcer un sermon quelque part, je sais que je pourrai voyager de nuit pour pouvoir aller à la rencontre de sa communauté », explique-t-il.
Cette deuxième chance représente pour lui la possibilité « de bouger, de vivre, de créer des liens, de s’épanouir ». Il se sent le devoir de rendre hommage à la générosité de la personne qui a fait le don en se mettant au service des autres.
« J’ai raté tant d’occasions de faire le bien et de répandre de la beauté dans le monde avant la transplantation. Je suis bien conscient de ce que cette personne m’a donné et je lui suis infiniment reconnaissant. Je veux faire le bien pour lui témoigner ma gratitude. »
« Je suis responsable de ce cadeau maintenant, je dois en faire quelque chose. »
Étudier la place du don d’organes dans l’islam
Pour Shariq, se mettre au service des autres, c’est aussi parler de son expérience pour encourager les personnes issues de la communauté musulmane à s’inscrire au don d’organes.
« Je n’impose rien à personne, chacun est libre de faire ce qu’il veut de son corps, affirme-t-il. Mais je les invite à réfléchir à cette réalité et à la possibilité de faire un beau geste, même après son décès. »
La communauté musulmane est divisée sur la question du don d’organes, et le choix de faire un don est une question très personnelle. C’est pourquoi, en collaboration avec un autre imam, Shariq a voulu créer une brochure sur l’islam et le don d’organes pour le Réseau Trillium pour le don de vie de l’Ontario.
Le don d’organes, un jeu de chiffres
Plus il y a d’inscrits au don d’organes, plus il est possible de sauver des vies. Seul un petit pourcentage de décès peut donner lieu à un don d’organes, d’où l’importance d’avoir un vaste bassin de donneurs potentiels pour répondre aux besoins. En outre, bien que les organes ne soient pas attribués en fonction de la race ou de l’ethnie, il est également essentiel de disposer d’un bassin diversifié de donneurs. Les personnes qui donnent et celles qui reçoivent un organe doivent être d’un groupe sanguin compatible et avoir certains marqueurs communs sur leurs tissus. Or, avoir des origines communes améliore les chances de compatibilité.
Un rein provenant d’une personne décédée a une durée de vie moyenne de dix à quinze ans. Voilà bientôt neuf ans que Shariq a reçu son rein; il sait qu’il en aura bientôt besoin d’un autre. En attendant, il profite de chaque instant avec le temps qu’on lui a offert.