Coupures sélectives : dégradation des plaquettes lors de leur entreposage
En bref ...
Le découpage ciblé et spécifique des protéines pourrait contribuer à la perte de fonction des plaquettes lors de leur entreposage.
Pendant cette opération, les liaisons formées entre les acides aminés sont brisées par les peptidases, elles aussi des protéines. La protéolyse est un processus cellulaire naturel important qui a lieu pour plusieurs raisons, notamment pour empêcher l’accroissement des protéines inutiles ou endommagées. Dans ce cas précis, elle agit comme une déchiqueteuse en détruisant les protéines indésirables. Elle peut également être contrôlée de manière spécifique pour couper les protéines à des endroits bien particuliers. Les protéines ou peptides obtenus seront plus courts, mais plus stables tout en restant fonctionnels, le plus souvent. On peut comparer ce processus à une paire de ciseaux avertie qui confectionne sur mesure la forme et la fonction des protéines.
Les plaquettes, les concentrés de globules rouges et le plasma préparés par la Société canadienne du sang aux fins de transfusion contiennent des milliers de types de protéines différents. Les plaquettes sont, elles, essentielles à la coagulation du sang et sont souvent transfusées aux patients atteints d’un cancer comme thérapie de soutien. Malheureusement, contrairement aux concentrés de globules rouges et au plasma, qui peuvent être entreposés plus longtemps, la durée de vie des plaquettes n’est que de 5 jours. Cela est dû, en partie, au fait qu’elles doivent être entreposées à température ambiante, ce qui présente un plus grand risque de contamination bactérienne. Une autre raison est que leur fonction décline pendant l’entreposage. Bien que ce phénomène, appelé lésions plaquettaires, fasse l’objet de nombreuses études, il n’est pas encore totalement compris.
Il peut toucher toutes les composantes des plaquettes : de leur forme à leur capacité de métabolisation, en passant par la modification des protéines qui les constituent. Dans l’étude qui nous concerne ici, des chercheurs du Centre de recherche sur le sang de l’Université de Colombie-Britannique ont exploré le phénomène selon un nouvel angle. Ils se sont concentrés sur les modifications des protéines et, plus particulièrement, sur la nature des protéines concernées, l’emplacement des coupures et les effets de ces modifications sur les protéines elles-mêmes et sur la fonction des plaquettes.
Comment les chercheurs ont-ils procédé?
Des plaquettes ont été recueillies, traitées, puis entreposées dans les conditions habituelles à la Société canadienne du sang. Ces plaquettes de contrôle ont ensuite été comparées à des plaquettes auxquelles on a ajouté du Marimastat, un médicament qui bloque l’action d’un groupe de peptidases, appelées métalloprotéinases. Ensuite, grâce à une technique spéciale (TAILS), mise au point par l’Université de Colombie-Britannique, les chercheurs ont étudié la protéolyse des protéines lors de l’entreposage des plaquettes. Après avoir examiné toutes les protéines, ils ont pu déterminer les protéines qui avaient été coupées, l’emplacement exact de la coupure, ainsi que le moment où la coupure a eu lieu.
Quelles sont les conclusions de l’étude?
- Près de 3 000 protéines et plus de 7 500 peptides uniques ont été identifiés dans les plaquettes.
- Plus de 3 000 terminaisons aminées ont été retrouvées. On appelle terminaisons aminées, les points de commencement physiques des protéines ou des peptides. Grâce à leurs positions, qui définissent les limites structurelles et fonctionnelles des protéines, on peut déterminer si une protéine ou un peptide a été coupé par une peptidase.
- Il apparaît que les protéines impliquées dans la structure, le métabolisme et la communication cellulaires sont coupées pendant l’entreposage des plaquettes.
- La majorité (77 %) des protéines coupées produisent des fragments stables. Cela suggère que la protéolyse sert à couper ou à dégrader les protéines indésirables, mais que c’est également un processus régulé et contrôlé.
- Des expériences menées avec des inhibiteurs de protéases ont montré que les métalloprotéinases sont responsables d’une grande partie du phénomène de protéolyse qui se produit lors de l’entreposage des plaquettes.
Comment utiliser les résultats de cette étude?
Bien que la protéolyse de certaines protéines ait déjà été associée aux lésions survenant dans les plaquettes entreposées, cette approche étendue a permis d’obtenir une meilleure vue d’ensemble des protéines dégradées pendant l’entreposage des plaquettes et de l’endroit où elles le sont. À l’aide de la méthode TAILS mise au point à l’Université de Colombie-Britannique, l’étude a montré que la protéolyse est un phénomène à grande échelle lors de l’entreposage des plaquettes. Surtout, les résultats ont montré qu’il ne s’agit pas seulement de couper les protéines, mais que c’est, en grande partie, un phénomène ciblé par lequel les protéines sont transformées en protéines ou peptides stables, dont les fonctions peuvent différer de celles des protéines d’origine. Avec l’arrivée de nouvelles technologies permettant de réduire les risques de contamination bactérienne des plaquettes, nous pourrions prolonger le temps de conservation des cellules. Pour y arriver, nous devons avoir une meilleure compréhension de l’apparition des lésions plaquettaires.
L’étude montre le rôle important joué par la protéolyse lors de l’entreposage des plaquettes. La perte de fonction des plaquettes est ce qui nous empêche de les entreposer pendant de longues périodes, or d’après les résultats, on pourrait y remédier en ciblant les métalloprotéinases. À l’origine, le médicament utilisé dans l’étude, le Marimastat, était un anticancéreux et a fait l’objet d’études cliniques au début des années 2000. Sa production a été arrêtée, car, bien que son innocuité ait été démontrée, il provoquait des effets indésirables douloureux et son efficacité n’était pas concluante, notamment en termes de survie des patients traités. L’ajout d’inhibiteurs de métalloprotéinases, ou de tout autre inhibiteur de protéolyse, lors de l’entreposage des plaquettes pourrait-il, sans danger, améliorer la qualité et la fonction des plaquettes destinées à la transfusion? Il s’agit là d’une piste intéressante à explorer.
À propos de l’équipe de recherche
Anna Prudova est assistante de recherche au laboratoire de Christopher Overall au Centre de recherche sur le sang de l’Université de Colombie-Britannique, à Vancouver. Ulrich Eckhard et Nikolaus Fortelny, titulaire d’une bourse de recherche postdoctorale pour l’un et étudiant aux cycles supérieurs pour l’autre, font tous deux partie de l’équipe de M. Overall. Christopher Overall est professeur au département de sciences médicales et biologiques orales et au département de biochimie et de biologie moléculaire de l’Université de Colombie-Britannique, à Vancouver. Katherine Serrano est assistante de recherche au Centre d’innovation de la Société canadienne du sang et professeure-assistante au département de pathologie et de médecine de laboratoire de l’Université de Colombie-Britannique. Dana Devine est chef des Affaires médicales et scientifiques à la Société canadienne du sang et professeure au département de pathologie et de médecine de laboratoire de l’Université de ColombieBritannique.
Le contenu du présent concentré de recherche est tiré de la publication suivante
[1] Prudova A, Serrano K, Eckhard U, Fortelny N, Devine DV, Overall, CM: TAILS N-terminomics of human platelets reveals pervasive metalloproteinase-dependent proteolytic processing in storage. Blood 2014; 124(26):e49-60. doi: 10.1182/blood-2014-04-569640.
Remerciements : Mme Prudova a bénéficié du programme de formation stratégique en sciences transfusionnelles du Centre de recherche sur le sang de l’Université de Colombie-Britannique. M. Eckhard a bénéficié d’une bourse postdoctorale de la Fondation Michael Smith pour la recherche en santé. M. Overall est titulaire d’une chaire de recherche en analyse protéomique des protéines et en biologie des systèmes. L’étude a reçu le soutien financier de la Société canadienne du sang, organisme financé par les ministères provinciaux et territoriaux de la Santé, Santé Canada et les Instituts de recherche en santé du Canada. L’infrastructure de recherche au Centre de recherche sur le sang de l’Université de Colombie-Britannique a été financée par la Fondation canadienne pour l’innovation et la Fondation Michael Smith pour la recherche en santé. Les opinions exprimées dans le présent bulletin ne reflètent pas nécessairement celles du gouvernement du Canada. La Société canadienne du sang tient à remercier tous les donneurs de sang qui ont permis de mener cette étude.
Mots-clés : plaquettes, protéines, protéomique, TAILS, protéolyse, enzymes, lésions de stockage.
Vous voulez en savoir plus? Communiquez avec Katherine Serrano, à katherine.serrano@blood.ca.
Le bulletin concentré de recherche est un outil de mobilisation des connaissances élaboré par la Société canadienne du sang